Prise en charge des premières règles
L’adolescence chez les jeunes filles porteuses d’une MW s’accompagne généralement d’une symptomatologie hémorragique nouvelle : les ménométrorragies. Il convient de les prendre en charge de manière spécifique, et d’anticiper ce risque hémorragique potentiel.
Dès l’apparition des premiers signes pubertaires, et si possible avant l’apparition des premières règles, ce risque hémorragique est à expliquer aux jeunes filles, en consultation. On proposera de les orienter vers une équipe de gynécologie pédiatrique et/ou de l’adolescente. Une échographie pelvienne par voie sus-pubienne peut être réalisée afin d’évaluer la maturation utérine. Une prescription d’acide tranexamique est remise aux jeunes filles, afin que le traitement puisse être débuté dès le premier jour des premières règles.
De plus, la prescription d’une numération formule sanguine est remise aux patientes porteuses des formes les plus sévères de façon à permettre de vérifier la concentration en hémoglobine rapidement (48 heures après le début des règles) si celles-ci sont abondantes. Cela permet de dépister précocement la constitution d’une anémie.
L’abondance des ménométrorragies est évaluée par le score de Higham (voir documentation), qui permet de quantifier le nombre de changes quotidiens, l’abondance de l’imprégnation du change et la durée des règles. La fiche de score est complétée au domicile par la jeune fille en temps réel sur 3 cycles consécutifs. Un score supérieur à 100 définit la ménorragie (correspondant à un saignement supérieur à 80 ml).
Une prise en charge conjointe avec l’hématologue et une équipe de gynécologie pédiatrique et/ou de l’adolescente est importante en cas de règles abondantes. Une prescription rapide d’un traitement hormonal (progestatif ou oestroprogestatif) en séquentiel ou en continu peut s’avérer nécessaire, en fonction de l’abondance des règles. Un traitement par desmopressine ou concentré de VWF peut parfois être nécessaire. Dans les formes les plus sévères, un traitement substitutif prophylactique peut être débuté du 1er au 3ème jour des règles, au moment où elles sont le plus abondantes.
Il est important qu’un bilan martial soit régulièrement pratiqué pour dépister précocement un état de carence et le traiter.
Ménorragies
Généralités
Les patientes atteintes d’une MW sont exposées à un risque de ménorragies. Il s’agit du symptôme hémorragique le plus fréquemment rapporté mais celui-ci n’est pas spécifique et surtout peut varier au cours de la vie génitale. Sa prise en charge est primordiale car il impacte la qualité de vie de ces femmes.
Le retentissement des ménorragies sur la vie sociale (scolaire, professionnelle ou sportive) et le risque d’anémie par carence martiale doivent être systématiquement recherchés et pris en compte par le médecin. La quantification de ces saignements reste difficile. Elle repose sur la mesure de la concentration en hémoglobine et de la ferritinémie, mais aussi sur l’utilisation à l’interrogatoire d’un pictogramme menstruel qui permet d’établir un score quantitatif (lien score de Higham) qui pourra aussi être utile pour le suivi thérapeutique. Les traitements ne seront pas systématiques mais adaptés à la fréquence et à l’intensité des ménorragies.
Certains médicaments, souvent utilisés en automédication tels que les AINS, les AINS méconnus de type Ponstyl® et Antadys® ou l’aspirine (du fait de leur effet antiagrégant), sont contre-indiqués. De même, la prescription de certains antidépresseurs ou la prise de traitements de phytothérapie et compléments alimentaires pouvant aussi aggraver les signes hémorragiques.
Prise en charge thérapeutique
Après avoir éliminé une cause gynécologique, la prise en charge des ménorragies s’effectue de façon progressive en collaboration avec le médecin gynécologue, le gynécologue pédiatrique et/ou de l’adolescente puis le médecin traitant. Ces traitements pourront varier en fonction des différentes étapes de la vie génitale des femmes. Il faut distinguer la période des premières règles (ménarche), de celle de la fécondité et celle après les grossesses.
En première intention, le traitement est basé sur des traitements non spécifiques.
Les traitements corrigeant le déficit en VWF seront réservés aux patientes présentant une forme sévère de MW et chez lesquelles les premiers traitements ont échoué ou ne sont pas indiqués comme par exemple les traitements hormonaux en cas de désir de grossesse ou d’antécédent personnel thrombo-embolique. Dans cette situation d’antécédents thrombo-emboliques, l’utilisation des progestatifs purs quelle que soit leur forme ( implants, pillule, dispositif intra-utérin au lévonorgestrel) peut être proposé.
Dans tous les cas, il est essentiel de dépister une éventuelle anémie ferriprive afin de proposer un traitement per os de la carence martiale.
Le traitement de 1ère intention repose sur :
– la prescription d’acide tranexamique à la dose de 1g x3/jour dès le 1er jour des règles pendant la durée des règles abondantes et au moins 3 jours (ou à la dose de 20 mg/kg/jour en 2 prises chez la toute jeune fille). L’action antifibrinolytique seule qui réduit le volume sans réduire la durée des règles, peut suffire dans un premier temps surtout si la patiente ne souhaite pas avoir recours au traitement hormonal
– le recours au traitement œstroprogestatifsous forme de contraceptifs oraux combinés : en l’absence de contre-indication, doit être proposé en 1ère intention aux jeunes filles dès l’apparition des ménarches si celle-ci sont très hémorragiques et aux patientes qui n’ont pas de désir de grossesse immédiat. La part œstrogénique du traitement réduit la durée et le volume de ménorragies en augmentant le taux de VWF et en limitant la croissance de l’endomètre.
– l’association traitement hormonal et acide tranexamique est possible et souvent suffisante même dans les formes sévères
– les traitements progestatifs :
- Les progestatifs à faible dose (pilule microprogestative) ne sont pas recommandées en première intention du fait du risque de spotting associé ;
- Les traitements progestatifs utilisés à forte dose pour un effet antigonadotrope plus puissant (hors AMM pour la contraception) diminuent comme la pilule oestroprogestative, les ménorragies, et assurent pour certains une contraception efficace (prescrit 21/28 jours au minimum, voire en continu) en particulier en cas de contre-indication aux contraceptions oestroprogestatives ;
- dispositif implantable progestatif (etonogestrel) S’il entraîne une aménorrhée fréquente, le risque de spotting et les complications à type d’ecchymoses lors de la pose et du retrait en limitent les indications chez des patientes atteintes de MW
– les dispositifs intra utérins (DIU) : les DIU au cuivre simple sont fortement déconseillés car ils augmentent les ménorragies. Les DIU au progestatif (levonorgestrel) sont plus adaptés aux patientes ayant une maladie hémorragique : ils ne suppriment pas le cycle ovulatoire (dans la plupart des cas) mais ils diminuent la croissance de l’endomètre induite par les oestrogènes. Ils peuvent entraîner des métrorragies dans les mois qui suivent la pose mais induisent secondairement l’aménorrhée souhaitée.
– les traitements plus radicaux tels que la thermocoagulation, ou l’ablation de l’endomètre ne seront proposés que chez les femmes ne souhaitant plus de grossesse et pour lesquelles tous les traitements précédents bien menés n’ont pas été suffisamment efficaces.. Les traitements invasifs du type dilatation et curetage n’ont pas montré d’amélioration de ce symptôme. De plus, il s’agit d’une procédure invasive à risque hémorragique notamment lors de la chute d’escarre. L’hystérectomie doit rester la solution de dernier recours à moins qu’il n’existe une cause gynécologique majorant ces saignements compte tenu du risque hémorragique important de l’intervention. Ces traitements devront dans tous les cas être encadrés par un traitement préventif du risque hémorragique.
Traitements spécifiques de la MW
– Un traitement substitutif par VWF et/ou FVIII peut être nécessaire chez certaines patientes qui ne répondent pas aux traitements non spécifiques, en particulier chez les patientes ayant un déficit sévère, le plus souvent atteintes de MW de types 2 ou 3 et chez celles qui ont interrompu leur traitement hormonal en raison d’un désir de grossesse. Dans ces cas, la fréquence des injections sera fonction de la symptomatologie.
– La desmopressine sous forme de spray nasal (150 µg/dose) voire IV peut être proposée chez les patientes répondeuses, en cas de saignements importants. Son utilisation reste limitée aux risques de tachyphylaxie et au respect de la restriction hydrique. L’association aux traitements non spécifiques est possible.
Une information sur les différents traitements doit être anticipée avant la survenue des 1ères règles chez les jeunes filles présentant une forme sévère de MW. La prise en charge est d’autant plus efficace qu’elle est précoce. La prescription d’acide tranexamique et d’un bilan biologique doit être remis aux parents avant les premières règles ainsi la conduite à tenir en cas de saignement mal contrôlé ou mal toléré. Un avis sera nécessaire auprès du médecin spécialiste de la patiente en cas de saignement majeur pour l’adaptation rapide des traitements.
Situations Obstétricales
Généralités
Chez toutes les femmes une élévation du VWF et du FVIII:C est observée à partir de la 10ème semaine d’aménorrhée (SA). Cette augmentation se poursuit régulièrement jusqu’en fin de grossesse. Au terme, ces taux vont être 1,5 à 2 fois plus hauts que les taux de base et peuvent atteindre plus de 250 UI/dL. En post-partum, le retour à des taux de base commence dès le 3ème jour et est obtenu entre le 7ème et 21ème jour. La vitesse de cette décroissance est variable. L’allaitement est susceptible de ralentir ou de retarder cette diminution.
Chez les patientes atteintes de MW, l’augmentation des taux de VWF et FVIII:C sera fonction du type de déficit et de sa sévérité. Dans les formes sévères, l’absence de correction des taux augmente le risque hémorragique du péri et post partum chez ces patientes.
Prise en charge multidisciplinaire
Même si la potentielle normalisation des taux des facteurs en particuliers dans les déficits quantitatifs n’entrainera pas systématiquement de prise en charge spécifique, une prise en charge multidisciplinaire doit être instaurée, quel que soit le type de MW, avec une interaction entre le médecin du CRC-MHC, l’anesthésiste-réanimateur, l’obstétricien, le maïeuticien, le pédiatre, le pharmacien, le biologiste . Pour les patientes justifiant d’une prise en charge spécifique l’accouchement devra se faire dans une maternité de type 2, voire idéalement de type 3 si le risque est important pour le nouveau-né.
L’accompagnement de la patiente se fera dès la période pré-conceptionnelle au moment du désir de grossesse. Les modalités de la prise en charge seront transmises par le médecin du CRC-MHC, par écrit, aux différents intervenants. Il faudra instaurer un suivi clinique et biologique pendant la grossesse, en particuliers les dosages de VWF :Ag, VWF :Act et FVIII:C. Bien que les recommandations proposent un suivi à partir du troisième trimestre (28ème SA), il est préférable de réaliser ce suivi dès le 2ème trimestre afin de mieux orienter la prise en charge de ces patientes.
Comme pour toute grossesse, le mode d’accouchement à privilégier est la voie basse (intérêt de l’hémostase « mécanique » générée par les contractions utérines notamment) et la césarienne sera une décision guidée par des raisons obstétricales.
Prise en charge de la grossesse en fonction du type de MW
Selon le type de MW, l’augmentation des taux de FVIII:C et VWF :Act est très variable et est fonction du type de défaut présent sur le VWF.
Dans la majorité des MW de type 1, on observe une augmentation parallèle du VWF et du FVIII:C et des taux >50 UI/dL dès la 28ème SA voire plus précocément. En l’absence d’autres contre-indications, cette correction permettra d’autoriser la réalisation d’une anesthésie périmédullaire et de ne pas proposer de traitement spécifique. Des consignes seront transmises par écrit dès que possible aux différents correspondants afin que la prise en charge de l’accouchement soit identique à celle de toute femme non atteinte de MW.
Un protocole thérapeutique pour prévenir le risque hémorragique de l’accouchement sera rédigé en amont chez les patientes atteintes d’une MW de type 2 (2A, 2B, 2M et 2N) qui garderont tout au long de la grossesse un déficit qualitatif, et chez les patientes atteintes d’une forme sévère de type 1 ou de type 3. Dans ces formes sévères un traitement substitutif par VWF et/ou FVIII sera instauré, traitement dont le rythme et la durée des injections seront fonction du type de MW, des taux en fin de grossesse et du mode d’accouchement.
Il est recommandé de maintenir un taux de VWF :Act et FVIII:C > 50 /dL pendant au moins 3 jours en cas d’accouchement par voie basse, et 5 à 7 jours en cas de césarienne. La prévention du risque thrombotique intégrera le suivi du taux de FVIII:C pour éviter des taux supra—physiologiques Chez ces patientes, l’anesthésie périmédullaire sera contre-indiquée. Les patientes atteintes de MW de type 2B peuvent classiquement présenter une aggravation de la thrombopénie d’autant plus importante que l’on approche du terme.
Chez les patientes dont les taux de VWF :Act et FVIII:C sont proches de 50 UI/dL au moment de l’accouchement (type 2 ou type 1 sévère), l’administration d’un traitement n’est pas systématique. La desmopressine peut être proposée mais son administration doit être réalisée après clampage du cordon. Ce traitement est contre indiqué si la patiente présente une pré-éclampsie/éclampsie. Dans ces situations, l’indication de la péridurale devra être discuté au cas par cas par l’équipe multidisciplinaire en fonction des antécédents hémorragiques personnels et familiaux.
La césarienne étant également une situation à risque thrombotique, le traitement préventif anticoagulant est à considérer en postpartum surtout si la patiente est substituée, et cela pendant la durée de cette substitution.
En cas d’hémorragie du postpartum, la prise en charge doit correspondre à celle recommandée par la SFAR (transfusion de concentrés de globules rouges, acide tranexamique, PFC, éventuellement CPA, concentrés de fibrinogène…).
Les fausses couches constituent une autre situation à risque chez les patientes atteintes de MW. Il est rapporté une prévalence de fausses couches spontanées un peu plus importante chez les patientes atteintes de MW. En fonction de l’abondance du syndrome hémorragique, la prise en charge peut être classique, seulement encadrée par de l’acide tranexamique mais il peut être nécessaire de prescrire soit de la desmopressine si la patiente est répondeuse, soit du VWF+/-FVIII. Il faut préférer l’aspiration à un traitement médicamenteux de la fausse couche en raison du risque d’hémorragie à domicile dont la survenue n’est pas prévisible. Ces précautions peuvent être appliquées en cas d’IVG.
Au cours de certaines grossesses, des indications de choriocenthèse, d’amniocenthèse ou de cerclage sont posées. Il est impératif de connaitre les taux de VWF :Act et FVIII:C des patientes au moment du geste. Certaines patientes avec MW de type 1 auront déjà atteint un taux de VWF:Act et FVIII:C >50 UI/dL permettant une abstention thérapeutique. Une injection de VWF et/ou FVIII sera prescrite dans le cas contraire. L’absence de tératogénicité de la desmopressine en cours de grossesse est démontrée. Les experts américains concluent que la desmopressine n’est théoriquement pas contre-indiquée pendant la grossesse, bien que ce traitement conserve peu ou pas d’indication dans ce contexte. La desmopressine pouvant majorer l’hyponatrémie physiologique de fin de grossesse, son administration, si elle est envisagée, doit rester prudente et limitée à une dose. Ces indications potentielles sont donc à évaluer par le médecin du CRC-MHC. Le recours à la desmopressine après clampage du cordon ombilical peut être discuté si la patiente est connue comme bonne répondeuse à ce traitement en dehors de la grossesse.
L’enfant à naître
Pour l’enfant à naître, si la mère est atteinte d’un type de MW sévère dont le mode de transmission est dominant, il y a un risque sur 2 de présenter la même MW. Il est recommandé dans la mesure du possible, de ne pas avoir recours aux manœuvres obstétricales traumatiques (ventouses/forceps) sauf si l’engagement obstétrical ne peut se faire autrement. Le raisonnement est identique que le parent atteint de MW soit la mère ou le père.
Toute procédure invasive chez cet enfant ne devra se faire que si l’on connait son statut hémostatique, et après correction si besoin.
Dans la majorité des cas, les dosages seront réalisés à distance de la naissance.
La desmopressine ne semble pas être une contre-indication à l’allaitement bien qu’il n’existe que très peu de données dans la littérature, mais, même en cas de passage dans le lait maternel, l’absorption de la desmopressine par voie digestive est négligeable. Toutefois, la restriction hydrique justifiée par l’administration répétée de desmopressine (risque d’hyponatrémie), peut être un facteur interférant dans la mise en place de l’allaitement.
L’allaitement ne contre indique pas l’’utilisation de l’acide tranexamique.
Le carnet de santé à la sortie de la maternité doit préciser le risque hémorragique.
Sortie de la maternité
Les patientes à risque hémorragique élevé et ayant reçu un traitement substitutif justifient d’une hospitalisation d’au moins 4 à 6 jours selon les modalités d’accouchement, permettant une surveillance clinique d’au moins 24H après la dernière injection. Le traitement de sortie doit être anticipé, notamment en informant la patiente du risque d’hémorragie retardée du post-partum qui peut survenir jusqu’à 6 semaines. La moyenne d’apparition de ce risque est autour de 15 jours : l’ordonnance de sortie comportera de l’acide tranexamique (1g x 3/jour), un bilan sanguin (hémogramme, bilan martial) à faire 1 semaine après la sortie et les coordonnées du médecin du CRC-MHC. L’acide tranexamique sera également prescrit pour le retour de couches qui peut être hémorragique, surtout si la patiente est connue pour présenter des ménorragies. De même, la desmopressine par voie nasale peut également être proposée lors d’un retour de couches hémorragique avec toujours la difficulté de réaliser une restriction hydrique dans ce contexte éventuel d’allaitement.
L’introduction ou la réintroduction d’un traitement hormonal doit être à considérer rapidement par l’équipe obstétricale. Le risque thrombotique potentiel de ce mode de contraception en post partum doit être mis en balance avec le risque hémorragique de cette période, du fait du retour aux taux de base du FVIII:C et VWF.
Certaines équipes proposent de revoir systématiquement la patiente à J15 du post partum.
Dans les formes de MW de type 3, un traitement prophylactique par VWF est à discuter au cas par cas au rythme de 2 à 3 fois par semaine afin de couvrir la période du risque potentiel d’hémorragie retardée du post-partum.